Deux ou trois choses que j’ai apprises le 13 novembre
Paris – le 15 novembre 2015 (également publié sur MEDIAPART)
Il faut lire le communiqué de revendication de Daesh. Il est explicite. Ils ont, je cite : « choisi minutieusement à l’avance des lieux au coeur de la capitale française ». Ils visaient la « perversion », les « abominations » et les « idolâtres ». « Ainsi que d’autres cibles dans le 10ème, le 11ème et le 18ème arrondissement ».
Des terrasses de café… Toutes dans l’est parisien.
En bref, Daesh a délibérément attaqué le Paris le plus métis, le plus jeune, le plus festif, le plus populaire, le plus libre et surtout le plus multiculturel. C’est là que je vis. Entre la République, Charonne et Belleville, se frôlent le plus grand nombre de communautés en relative paix : musulmans, juifs, chrétiens de toutes origines, chinois et surtout beaucoup d’athées, de citoyens désinvoltes bien décidés à se poser la question de Dieu un autre jour. Un univers coloré qui énerve tous les obsédés de l’identité. J’ai donc appris le 13 novembre que les daechiens partagent avec l’extrême-droite identitaire la haine des « bobos ». Ces jeunes (et moins jeunes) des classes moyennes qui ne goûtent pas l’apartheid qu’il soit social et/ou ethnique.
Ce même 13 novembre, au matin, plusieurs heures avant les coups de feu, j’ai compris que Daech n’avait jamais été en si mauvaise posture. Daech perdait la ville de Sinjar, enfin reprise par les Kurdes. Il y a près d’un an, Xavier Muntz, de Premières Lignes, y avait passé presque un mois avec les troupes du YPG, joyeux mélange de filles espiègles, redoutables au fusil à lunettes et à la rhétorique féministe, de marxistes moustachus, de musulmans fraternels aux côtés de yezidis et de chrétiens. Les YPG étaient coincés entre les Turcs qui voulaient leur peau et les daechiens qui mettaient tous les moyens pour garder Sinjar. Dos au mur, encerclés, mal armés et mal ravitaillés, ils se sont battus pendant un an pour arracher Sinjar aux daechiens. Vu de France, cela parait minuscule. C’est fondamental. Contrôler cette ville, c’est couper la route entre les deux villes majeures des daechiens : Mossoul en Irak, Raqqa en Syrie. Le matin du 13 novembre, la continuité territoriale de l’Etat Islamique entre l’Irak et la Syrie était rompue pour la première fois.
Vers 23h40, alors que le carnage durait toujours au Bataclan, j’ai reçu un message internet d’un ami syrien, Ali. Un ancien chef de brigade de l’Armée Libre de Syrie de la région de Edlib. Il m’avait protégé en 2011 lorsque j’étais rentré clandestinement en Syrie. Il était inquiet pour moi.
– Paul, ça va ? Tu es en sécurité ? Fais attention.
Ali n’est plus en Syrie. Il est réfugié en Turquie. Il a été chassé de son pays par les islamistes. Et, en vérité, il nous en veut.
Un jour, il m’avait dit :
– C’est à cause de vous que daech a gagné. Parce que vous nous avez abandonnés.
Ali m’a appris qu’un groupe de modérés voudraient se reconstituer en passant une alliance avec les Kurdes. Ils cherchent des armes pour combattre daech.
– Personne ne nous écoute. Personne ne nous reçoit. Même pas les Français.
Je ne sais pas pourquoi mais ça ne m’a pas tellement surpris…
Paul Moreira