Pourquoi le Prix de l’Impact ?
Les journalistes, les documentaristes, aiment fréquenter des festivals où ils se remettent des prix. Ils se retrouvent à dates fixes dans diverses villes balnéaires et ils se célèbrent. Je l’avoue, ce sont des moments très plaisants, surtout lorsqu’on a la chance de monter sur l’estrade pour recevoir une petite statuette et la reconnaissance de ses pairs.
En France, on récompense avant tout la beauté d’une oeuvre. On reconnait au journaliste des qualités de cinéaste. La beauté des images. La langue élégante du commentaire. Le placement de la caméra. Le point de vue de l’auteur. La force du propos et l’originalité du sujet…
Pourquoi pas ?…
Mais il y a une chose qu’on ne récompense jamais. Une chose très simple, pourtant à la racine de notre métier :
A quoi notre film a-t-il servi ? En quoi a-t-il changé quelque chose ?…
Si nous nous sommes lancés dans une enquête difficile, si nous avons passé des dizaines d’heures penchés sur des documents ennuyeux, conçus pour endormir l’attention des plus sagaces, si nous avons franchi des frontières illégalement, si nous avons dissimulé des caméras pour rentrer dans des usines interdites, des camps de travail, c’était parce qu’une injustice, un dysfonctionnement, un déséquilibre insupportable nous avait mis en route. Dans un coin de notre tête de grands gosses un peu naïfs, nous espérions que nos révélations pourraient mettre fin à une situation insupportable. Au moins y participer.
Albert Londres a fait fermer un bagne.
Pourquoi chaque année, des dizaines de gamins intelligents, talentueux, se lancent-ils dans une profession précaire, mal payée, à l’avenir de plus en plus incertain ? Parce qu’ils ont le sentiment qu’ils pourront faire la différence, servir à quelque chose.
Nous sommes nombreux à penser qu’il faut protéger ce rêve précieusement.
Quand Roxanne du Festival International du Grand Reportage d’Actualité est venue m’interroger, l’année dernière, pour me demander ce que je pensais de ce festival, point de chute des gens du métier, je lui ai glissé :
– Ce serait bien que, pour une fois, on ne récompense pas uniquement la joliesse des films mais aussi leur impact. En quoi ont-ils changé les choses ? Quel a été leur force sociale ou politique ? En quoi ont ils inspiré la société, ouvert les yeux, changé la donne ?
Une idée gagne des jambes lorsqu’elle rencontre des bonnes volontés. Roxanne en a parlé à Geneviève Garrigos, la présidente d’Amnesty – France qui s’est engagée à soutenir ce prix. Amnesty International, voilà des gens qui n’ont pas peur des causes difficiles, jamais perdues. Je me souviens de Brian, l’un de leurs militants, qui se battait pour un traité contre la prolifération des armes. Il était né dans la Rhodésie de l’Apartheid. Le monde bouge, disait-il, rien n’est immuable. Il a fini par le faire voter à l’ONU, son traité…
Donc, cette année, pour la première fois, au FIGRA, vendredi 28 mars, un film est récompensé pour ce qu’il a pu changer dans la société.
On dit souvent que la télévision ne sert à rien, qu’elle n’est qu’une distraction, un moment de délassement après le travail.
Nous voulons prouver le contraire.
J’espère que l’idée continuera à avoir des jambes.
Le journalisme est un combat. Il faut célébrer ses (trop rares) victoires.