DOSSIER PESTICIDES : Cash Investigation répond à Libé Désintox
Cash Investigation répond à Libé Désintox
jeudi 11 février 2016
lien vers le documentaire « Produits chimiques : nos enfants en danger »
Un certain nombre d’imprécisions et d’oublis se sont glissés dans l’article de Libé Désintox « Pesticides : le chiffre bidon de Cash Investigation ». Le débat sur les résidus de pesticides dans l’alimentation est bien plus complexe.
Tout d’abord, ce que Libé Désintox appelle sans nuance « le chiffre bidon de Cash Investigation » provient d’un rapport de l’EFSA, l’Agence européenne de sécurité des aliments (à lire ici). Revenons donc sur ce fameux chiffre : « Plus de 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides dans les limites légales ». Vous en conviendrez, le titre de l’EFSA est très clair.
Mais comme vous, nous avons été interloqués par la phrase suivante : « 54,6% of the samples contained no quantifiable residues ». Cette phrase est très importante : elle évoque 54,6% de résidus non-quantifiés et non pas 54,6 % de résidus non-détectés. Le seuil de LOQ (Limit of Quantification) est en effet 10 à 20 fois supérieur au seuil de LOD (Limit of Detection).
Pour nous assurer de ce chiffre, nous avons contacté l’une de nos sources à l’EFSA pour comprendre. Elle nous a confirmé que ces 54,6% correspondaient bien à des échantillons avec des résidus dont les niveaux de pesticides étaient en-dessous des limites de quantification mais pas en-dessous des limites de détection. C’est une différence majeure. En d’autres termes, sous cette limite de quantification, on ne peut pas conclure à l’absence de pesticides. On pourrait même dire qu’il y en a, qu’on les a détectés mais qu’on ne sait pas les quantifier précisément pour les relier à des molécules chimiques.
Voilà donc qui justifierait le titre du communiqué de l’EFSA : « Plus de 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides dans les limites légales« . Et contrairement à ce que Libé Désintox laisse entendre, à aucun moment dans le documentaire nous ne disons ni ne laissons penser que 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides au-delà des limites légales.
Le débat sur « limite de détection » / « limite de quantification » est loin d’être anodin. Dans ses conclusions sur les résidus de pesticides, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation française recommande à l’agence européenne, l’Efsa, « qu’il serait également utile que les évaluateurs du risque disposent d’informations analytiques complémentaires afin de réduire les incertitudes liées aux données censurées, notamment en identifiant les traces (pesticides détectés mais non quantifiés) ». Non-quantifié ne veut donc pas dire non-détecté.
Au cours de notre enquête, nous avons présenté ce chiffre de 97 % à la personne la plus directement concernée : Jean-Charles Bocquet le directeur général de l’ECPA (European Crop Protection Association), le lobby des pesticides en Europe. Nous l’avons confronté à ce chiffre à deux reprises. Lors de l’interview à Bruxelles le 4 novembre 2015, puis sur le plateau du débat après ce numéro de Cash Investigation. A aucun moment Jean-Charles Bocquet n’a contesté ce chiffre de 97% alors qu’il a pourtant remis en cause toutes les études que nous lui avons présentées sur l’impact des pesticides.
Par ailleurs, au cours d’une discussion lors d’un chat organisé sur le site francetvinfo.fr le lendemain de la diffusion, et non pas dans le documentaire diffusé sur France 2, nous avons en effet parlé trop vite dans l’élan du direct. Les 3% restants indiqués par l’EFSA ne sont pas bio mais bien des résidus de pesticides qui dépassent les limites légales. Nous avons depuis corrigé notre réponse.
Mais au-delà du rapport de l’EFSA sur la présence de résidus de pesticides dans les aliments, il nous apparait important de donner d’autres chiffres officiels qui pointent la présence de résidus de pesticides dans l’alimentation. C’est, en effet, ce que l’article de Libé Désintox semble remettre en cause.
Pesticides dans l’alimentation : d’autres chiffres qui posent question
Prenons l’exemple français : la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes est en charge d’analyser les pesticides dans les aliments. C’est aussi elle qui alimente les études européennes de l’EFSA. Dans son rapport de 2013, on apprend d’abord que le chlorpyrifos, le pesticide neurotoxique sur lequel nous avons longtemps enquêté, est le troisième pesticide le plus retrouvé dans les fruits consommés en France.
Contrairement à celui de l’Efsa, ce rapport ne laisse aucune place à l’interprétation : les résultats d’analyses sont soit positifs soit négatifs aux résidus de pesticides. Parmi les fruits les plus consommés par les Français : 85,4% des pommes analysées présentent des résidus de pesticides, 79,7% des nectarines et des pêches, 85,9% des raisins de table, 84,5% des fraises, 93,9 % des pamplemousses, 87% des oranges. Et encore 75% des abricots, 100% des pissenlits, 89% des salades, 79% des citrons, 100 % des scaroles, 82% des mandarines, 100 % des fruits de la passion, 92,9 % des cerises… Nous aurions pu prendre chacun de ces chiffres pour commencer notre enquête.
L’offensive de com d’une association controversée
Pour finir, une précision : ce débat sur ce chiffre de 97% a commencé quand Libé Désintox nous a appelé quelques heures après la publication d’un communiqué d’un site internet pseudo-sciences. Ce site héberge l’AFIS, l’Association Française de l’Information Scientifique. Libé Désintox évoque « une association controversée ».
Permettez-nous d’être plus précis encore. L’AFIS, c’est l’association qui s’est attaquée au travail de la journaliste Marie-Monique Robin, l’auteure de l’enquête « Le Monde selon Monsanto » (lire ici son droit de réponse); c’est l’association critiquée par ses pairs pour « ses partis pris idéologiques » (lire ici); c’est l’association dont la photo de profil Facebook montre deux militants avec une banderole accusant Greenpeace de « la mort de 8 millions d’enfants » et de « crime contre l’humanité »; c’est aussi l’association épinglée par… Libération dont le journaliste spécialisé en sciences Sylvestre Huet critiquait la part-belle faite aux climato-sceptiques dans un de leurs dossiers consacré au climat (lire ci); c’est enfin l’association dont l’un des membres émérites du comité scientifique a démissionné après avoir dénoncé une trop grande proximité avec le géant des pesticides Monsanto (sa lettre à lire ici).
Sur ce seul chiffre de 97%, Libé Désintox jette le doute sur l’ensemble de ce numéro de Cash Investigation de 2 heures 15 minutes et 8 secondes (à revoir ici). La réalité de l’exposition aux pesticides par les aliments est pourtant bien réelle et massive. Nourrir le doute, nous le démontrons dans Cash, c’est justement ce que cherche l’industrie des pesticides.
L’équipe de Cash Investigation