Fabrication d'un monstre
Sélectionné en compétition internationale, catégorie Current Affairs au festival européen Prix Europa
« Ce film est à la fois une enquête et un film personnel. J’étais voisin de palier de Charlie-Hebdo. L’agence où je travaille, Premières Lignes, était littéralement la porte en face. Nous avons été les premiers à rentrer dans la pièce et à venir en aide aux survivants. De la violence mortelle de l’attaque, je garde l’image fugace d’un filet de sang séché sur la jambe du cadavre de Frédéric Boisseau, l’agent d’entretien tué dans sa loge. Une image que j’ai vu souvent dans les guerres du Moyen Orient. Voilà qu’elles venaient frapper à ma porte. Dans les mois qui ont suivi, les attentats se sont multipliés. Paris, Bruxelles, Nice, Berlin… Revendiqués par un groupe l’Etat Islamique. Daesh.
Je vais en Irak depuis quinze ans, et j’ai vu se créer, là-bas, le monstre qui est devenu Daesh. J’ai voulu raconter comment Daesh est né, le moment fondateur, l’heure zéro. Et pour cela, je suis allé retrouver des hommes que j’avais filmés en 2003 et 2004, au tout début de l’occupation américaine.
Les hommes que je suis allé revoir étaient des membres de l’Armée du Mahdi chiite ou de l’insurrection sunnite des quartiers ouest de Bagdad. Ils étaient considérés comme des terroristes par les soldats américains. Aujourd’hui, les américains sont partis et désormais, les « terroristes » d’hier combattent les terroristes d’aujourd’hui, à Fallouja et à Mossoul. » Paul Moreira
Fabrication d’un monstre
C’est à travers eux que le film raconte l’arrivée en Irak d’un Jordanien, Abou Mousab Al-Zarqawi. Comment ce Jordanien, proche d’Al Qaeda, en est venu à fédérer autour de lui les combattants volontaires qui venaient de toute la planète. Comment il a jeté les bases de ce que deviendrai Daesh, quelques années plus tard : totalitarisme religieux, spectacle de la violence, détermination psychopathe et guerre contre les chiites et les sunnites insuffisamment pieux. Zarqawi s’est nourri du conflit inter-confessionnel : sunnites contre chiites. Sans cela, il aurait sans doute été éliminé par la résistance. Mais, aux yeux des Sunnites opprimés, il est devenu un rempart, un bouclier.
L’enquête montre aussi que l’armée américaine a donné une visibilité énorme à Zarqawi. Il existait un programme « Psy Op », d’opérations psychologiques, visant à ce qu’il incarne la totalité de l’insurrection irakienne pour, dit le document : « provoquer un sentiment xénophobe ». Dans le brouillard de la guerre, ils l’ont starifié.
Zarqawi désigné comme l’ennemi numéro un est devenu un aimant pour de nombreux apprentis jihadistes. Et notamment les frères Kouachi qui appartenaient au groupe de jeunes islamistes des Buttes Chaumont à l’origine de l’attaque contre Charlie Hebdo.
Le film s’attache aussi à montrer le combat des brigades de volontaires qui se sont levées contre Daesh à Fallujah et Mossoul. Donner la parole aux populations civiles qui vivaient sous leur joug. Tous s’accordent sur un point : l’Irak doit réapprendre à devenir un pays multiculturel. Sinon, le venin de l’identité rallumera les flammes de la guerre. Même après la libération de Fallouja et Mossoul.